Yves Elleouet

Yves Elléouet, Falc'hun - Pareil au faucon - Falc'hun, falch'un, falchun

Il glisse en silence sur tous les jours déchus, J’ignore du côté de quelles rives vanillées. Falc’hun. p.182
Il prendra l’apparence de tous les animaux Ceux de la mer et ceux de la terre Il sera un dragon devant les armées… Livre des Rois de Bretagne. p.228

Présentation du livre

Falc'hun
4ème de couverture - Gallimard
Voici le second ouvrage de l’auteur du Livre des rois de Bretagne mort en 1975 à l’âge de quarante-trois ans. Roman ? Récit ? Poème ? Tous les genres sont mêlés dans cette épopée dont la figure centrale est celle de Falc’hun (faucon, en langue bretonne), un marchand ambulant. Sur son triporteur chargé de statuettes pieuses, de bijoux de pacotille, de dentelles et de mercerie, il parcourt les chemins de Bretagne en s’arrêtant dans chaque village, dans chaque estaminet. Passé et présent forment une sorte d’apocalypse visionnaire où la pensée autant que les sens, constamment requis, expriment la splendeur baroque d’un pays dont il connaît chaque secret. Il y a la mer. Il y a la mort. Il y a la lande en toutes saisons. Il y a les voix anciennes, le corps des femmes aimées, l’enfance, les maisons. Tout cela est lié, transposé à travers la sensualité du vieil homme, le Vagabond Eternel, baroque et légendaire. Yves Elléouët (1932-1975) a été marin-pécheur, dessinateur, peintre, poète. Il a publié un premier roman en 1974, Le Livre des rois de Bretagne.

Falc'hun vu par Jean Balcou

On sait que "Falc'hun" en breton signifie "faucon". L'auteur avait d'abord songé à "Horus", du nom du dieu-faucon des Egyptiens. Ce qui éclaire la perspective. Nul régionalisme, mais la confrontation avec le destin. Ici encore, comme tout à l'heure, le lecteur risque le tournis. Pourtant l'aventure est autrement dramatisée. Car au démembrement de soi, c'est-à-dire de tous, qui ramène à Osiris et au Christ, il s'agit de répondre. Aujourd'hui, donc Eliézer Falc'hun, le héros, n'est qu'un marchand ambulant. Ce qui lui permet, sur son triporteur, de sillonner toute cette côte Nord-ouest de la Bretagne avec dancing, cinémas, touristes, etc.… Mais aussi avec le pays et le paysage, avec son petit peuple crépusculaire. Rarement écrivain a su traduire aussi juste le rituel quotidien de ce monde là. Il est prouvé que rien ici n'a été proprement inventé, à part les noms, bien sûr, et encore. Mais cette authenticité est le fondement même de la recherche, de l'initiation. Ainsi Falc'hun est également le parrain centenaire. Et les Rois sont devenus nos propres ancêtres. Les revenants composent notre histoire, ils sont le sang qui nous irrigue, nos désirs et nos rêves. Nous sommes éternellement bretons. Voilà pourquoi Falc'hun est aussi, de bout en bout, l'oiseau royal : l'Ankou et l'oeil du Dieu. Le récit nous fait participer à la destruction d'Eliézer Falc'hun en même temps qu'à son insurrection. Au nom du sol contre la mer, au nom de l'enfance, nos vraies forces, il réside. Subsistera de lui, hommage au Bé de Chateaubriand, qui reste décidément le grand intercesseur, "la ruine d'une petite demeure rustique, percée d'une ouverture fort abîmée donnant sur l'Atlantique". C'est un peu, et tout. Yves Elléouët ne se lit pas facilement. Cela n'est ni engageant ni engagé. Ni folklorique ni politique. En outre, roman, récit, poème ? Le tout à la fois. Et puis : est-on dans la Bretagne des années 70 ou des temps légendaires ? Sur terre ou de l'outre-tombe ? Enfermé ou dehors ? L'obscène aussi entre dans le jeu. Mais, du début à la fin, de la fin au début, nous voilà emportés dans une grande kermesse verbale, une féerie d'images qui nous font voir les choses dans leur réalité magique. Je ne citerai que la phrase sur ces promeneurs, les passants qu'ici bas nous sommes, pique-niquant au bord de la mer : "A intervalles réguliers, la septième vague la plus haute, s'élevait au-dessus de la dune et leur criait : "Hou, hou !", en agitant tous ses mouchoirs dont la dentelle explosait et retombait en pluie". Et que de pages encore à vous serrer le coeur, à vous empoigner ! A preuve, tenez, cet ivrogne sur la dalle de son ami Yvon Le Gwen, le pêcheur naufragé, et qui ne peut rien contre le chant funèbre qui monte de sa "bouche vineuse" : "Ce que reçut la terre ce jour-là/la terre fendue au ventre plein d'étoiles..." Le miracle est que d'un aussi vieux pays et d'un aussi vieux passé soit sortie une oeuvre aussi étrangement moderne. Et par quoi elle atteint à l'universel.
Jean Balcou, Catalogue Expo Tréguier, août 1996

Préface de Michel Leiris

Préface de Michel Leiris à FALC’HUN Posthume, ce livre ne l’était-il pas déjà quand il prit forme ? Mêlant la vie et la mort plus intimement encore que celui qui l’a précédé (Le Livre des Rois de Bretagne centré sur l’homérique figure de Georges Cocaign, aussi bien demi-dieu celtique qu’ancien colonial travaillé par l’alcool, le paludisme, les prurits sexuels et l’invention poétique), ne force-t-il pas les temps à s’interpénétrer et les lieux à basculer l’un dans l’autre, comme si toutes choses – passées ou présentes, vécues ou imaginées, perçues ou apprises soit par lecture soit par ouïe-dire – y étaient vues sous l’angle de l’éternité ? Autrement dit : saisies comme des reflets tous éphémères regardés de là où, tout s’égalant à tout, aucun classement utilitaire ne cloisonne le monde toujours en train de se faire et de se défaire et ne ligote par de trop stricts papiers d’identité chacun de ses éléments, ainsi amputé de ses ramifications sensibles. Que les pages finales (une soixantaine de la copie dactylographiée) n’aient pas été revues par l’auteur autant qu’il l’aurait voulu importe peu : ce qui compte ici, ce n’est pas tel morceau – fût-il parole d’or parfaitement sertie dans son contexte –, mais le mouvement lyrique de l’ensemble et la façon dont s’y efface la frontière entre rêve et réalité. Plutôt que d’un surréalisme – courant auquel, très jeune, s’agrégea Yves Elléouët, lié à André Breton avant même d’avoir épousé sa fille Aube – il s’agit, tant avec l’épopée du retraité Cocaign qu’avec la geste de Falc’hun qui, sous l’angle de l’état civil, est un colporteur en « bijouterie, mercerie, optique » voué professionnellement et sans nul doute par goût à un certain vagabondage, de ce qu’on pourrait nommer (dans un esprit nullement théologique, mais pour la commodité critique) un réalisme transsubstantié. Je veux dire : un mode d’écriture tel que la réalité, au-dessus de laquelle il n’est pas question de se placer par un super-naturalisme de pure rêverie comme celui dont Nerval parlait à Dumas à propos des Chimères, y est à la fois présente et dépassée, mode naturaliste si l’on veut, mais tel qu’à chaque instant, sous la pression d’une impétueuse efflorescence, la pensée, qu’aurait pu engluer le prosaïsme, bouscule la logique du récit et greffe sur lui des tentacules inattendus, tout en restant fortement ancrée dans la vie quotidienne. En l’occurrence, la vie de terre et de mer qui a pour théâtre la Bretagne, particule du monde dans laquelle l’écrivain trop tôt disparu pour avoir pu donner toute sa mesure aura plongé (si l’on se fie à l’espèce de preuve fournie par l’existence des deux livres) les plus tenaces de ses racines, en raison certes de son ascendance, mais sans doute plus encore par un choix dont il est impossible de déterminer jusqu’à quel point il fut délibéré ou reposa sur une inclination dont il n’était pas le maître, vers le pays où il avait tout lieu de se sentir dans son climat. Bretagne légendaire (où sonnent les cloches d’Ys, la « Cité engloutie »), Bretagne traditionnelle (non moins terrienne que marine, et nantie de ses églises, de ses logis vétustes et de ses cimetières comme de ses bateaux perdus en mer), Bretagne touchée par la modernité (avec ses plages touristiques, ses bars à juke-boxes et ses cinémas) constituent les points d’appui d’un roman qu’en dépit de sa localisation précise et de son abondance en scènes croquées sur le vif le lecteur même le plus superficiel ne saurait qualifier de régionaliste, le pittoresque folklorique, aussi colorées que soient les descriptions, n’y tenant guère plus de place que n’en tiennent les aperçus d’ordre sociologique, et le cadre géographique étant constamment brisé, sinon au niveau de l’événement narré, du moins à celui de la phrase (souvent envolée vers des lointains tout à fait extérieurs à l’Armorique). Incontestablement, c’est de cette péninsule et de tels de ses habitants jeunes ou vieux, vivants ou défunts, qu’il est toujours question, mais cette péninsule, telle qu’elle nous est montrée, est moins une région qu’un microcosme, parcelle exemplaire du monde contenant tout, les grandes données naturelles que sont le ciel, la terre et la mer aux diverses saisons et tout l’humain – d’amour, de liesse, de travaux et de mort – autant que l’inhumain dans lequel l’homme, quoi qu’il fasse, ne cessera pas d’être baigné. Que l’auteur ait songé – ainsi que me l’a dit sa compagne – à intituler son roman Horus, nom du dieu égyptien associé au faucon et à qui se réfère l’une des méditations nervaliennes les plus classiques formellement en même temps que les plus riches de secrètes résonances, mais qu’il se soit finalement arrêté au titre Falc’hun, mot qui en Bretagne désigne le faucon et est ici le nom du protagoniste d’un fantastique survol, cela semble indiquer que, s’il n’a pas cru bon de placer son récit sous un signe qui n’eût pas manqué de donner couleur de symbole à un texte relevant essentiellement du réalisme poétique, c’est du moins une manière d’Horus qu’était pour lui le fier gaillard Falc’hun, coureur de filles, pilier de bistrot et rêveur familier des vieilles pierres, châteaux en ruine et autres pièces à conviction du cérémonial romantique. A l’égal d’Horus, fils posthume d’Osiris et réparateur du mal causé par le meurtre de celui-ci qui régnera sur l’empire des morts quand sa force lui aura été rendue, Falc’hun – qui sent revivre en lui son ancestral parrain alcoolique et qui, peut-être dernier d’une lignée, repaît son regard rapace des souvenirs qu’il exhume comme si, parvenu à fin de course, il voulait procéder à une récapitulation – n’apparaît-il pas lié à la mort en même temps qu’il en est la véhémente négation par l’ardeur gloutonne et volontiers salace dont il témoigne à l’égard de la vie ? Je dirai plus : lié à la mort dans la mesure où c’est son amour forcené de la vie et le culte brûlant qu’il voue à travers l’acte amoureux dont il est si friand qui le pousse à unir dans une seule étreinte vie et mort, pas plus séparables que l’avers et le revers d’une même médaille. En plusieurs endroits, au demeurant, de ce texte torrentueux qui charrie sans apparente discrimination le plus noble et le plus trivial, incante la nature et donne voix même aux pierres, texte constitué surtout par les réminiscences pleines de verdeur et les cogitations de l’homme au nom d’oiseau prédateur – dans la tête de qui le rose et le noir, la jubilation dionysiaque et la mélancolie, le burlesque et le funèbre alternent et souvent se fondent – une note peu appuyée mais singulièrement tragique se fait entendre, d’autant plus frappante qu’elle semble venir d’une sorte d’au-delà du récit et devoir être portée moins au compte de Falc’hun effectuant dans sa mémoire une ronde analogue à celle qu’il effectue sur les routes avec son triporteur, qu’au compte du narrateur dont le héros, qui tantôt s’exprime à la première personne et tantôt se trouve mis à distance par l’emploi de la troisième, est à n’en pas douter le truchement, sans pour autant se confondre avec lui, malgré l’osmose qui veut qu’on ne sache pas toujours lequel des deux doit être vu derrière les lignes. Plusieurs fantômes de suicidés étrangers à tout cimetière breton hantent en effet ce roman et font courir conjointement à la trame bariolée que tissent la mémoire et l’imagination du marchand ambulant – cercle parfait puisqu’à proximité des ruines séculaires d’un même château fort la même silhouette brune juvénilement aimée se profile dans les pages finales tout comme dans les premières – une trame plus lâche et plus ténue, sorte de discrète Légende dorée guère indiquée qu’en filigrane. Presque dès le début, et se manifestant à trois reprises sur le mode insinuant de l’élégie, se dessine l’image ophélienne de l’Anglaise « V.W. » (Virginia Woolf), morte en eau douce avec des cailloux dans ses poches ; vers le milieu, celle – qui ne se laisse que deviner – d’un contemporain d’Yves Elléouët, le poète et sculpteur Jean-Pierre Duprey (« l’avenue du Maine où quelqu’un s’est pendu » dira seulement le narrateur, qui par ailleurs saluera au passage un autre lieu saint, finistérien celui-là, le manoir que Saint-Pol Roux le Magnifique s’était fait bâtir non loin d’un site préhistorique) ; puis, tout à la fin, la haute figure du matador Belmonte qu’une balle de revolver délivre d’un amour qui n’était plus de son âge, Belmonte dont le nom, appelé par un jeu d’assonance, surgit à un détour de phrase, après l’évocation du noyé dont le corps fracassé, par accident ou non, a ensanglanté un rocher du rivage et juste quand, dans la maison abandonnée dont le héros a fait son ultime nid d’aigle et où, bientôt bourré à mort, il accomplira en l’explorant de nuit une vraie descente aux enfers, « la bête qui monte, qui monte » du populaire jeu de nourrice devient cette bête funeste qui monte en nous depuis notre naissance et un beau jour est là (façon de boucler le récit en se reportant, pour illustrer la dernière seconde, à une image vaguement érotique tirée de la prime enfance, comme si la vie n’était qu’un retour à la matrice dont nous sommes sortis et comme si les contrastes de ce livre allègrement débraillé dont la fête charnelle n’est que l’un des deux pôles trouvaient à se résoudre dans cette allusion indirecte au mouvement cyclique qui fait que, sur fond de néant, mort et naissance se rejoignent). Si le radical retour sur soi qu’est la mort volontaire représente un moyen d’échapper à la tyrannie des années et de boucler librement sa boucle, cela n’exclut pas la possibilité d’une autre façon de se rendre maître de sa vie et de flouer ainsi le destin : faire la somme des éléments de son propre passé (ainsi que furent rassemblés, selon le mythe, les membres dispersés du dieu Osiris) et les revigorer par et dans l’écriture qui – la restitution fût-elle absolument fidèle – est à même de les faire exister sous une forme d’un particulier éclat et de les conduire ainsi à un semblant d’achèvement. Fiction que l’authenticité de son ton suffit à dénoncer comme nourrie d’expériences intensément vécues, l’ouvrage d’Yves Elléouët, aussi grande qu’y soit la part de l’imaginaire, semble répondre au besoin éprouvé lucidement ou obscurément par maints poètes de prendre de leur vie une vue globale et de proposer une image d’eux-mêmes plus ou moins transfigurée, mais telle qu’on pourrait croire que celui qui l’a façonnée n’aurait pas pu la faire aussi ressemblante si, déjà de l’autre côté de la barrière, il n’avait été dans la seule posture qui lui permît une saisie totale qu’il résumerait en quelques traits éblouissants. Une image dictée par un besoin de ce genre, c’est cela que paraît être Falc’hun, personnage panique dans l’esprit de qui vie et mort vont la main dans la main et en qui, la lecture à peine entamée, l’on est porté à reconnaître un substitut de son inventeur, décrit par anticipation tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change. Substitut mi-solaire mi-lunaire, auquel on est en droit d’attribuer le rôle d’un Horus, dont l’œil de faucon – instrument d’un large tour d’horizon – n’a laissé se perdre aucune des proies qu’un pèlerinage mental aux nombreuses et diverses stations lui offrait et par l’entremise de qui, un passage au mythe s’opérant, la fatalité qui pesait sur un être de chair et d’os aura été virtuellement dominée en se trouvant projetée sur un plan où la disparition physique de l’individu cesse de tracer une infranchissable limite.
MICHEL LEIRIS (Préface à FALC'HUN)

Vidéo "Sur la table se tiennent..."

Vidéo "Cloche lointaine..."

Vidéo "Ce sont les statues..."

Vidéo "Tacatacatacatac !"

Vidéo "Les bigoudènes..."

Vidéo "Au fond du gouffre..."

Vidéo "Mon nom est Eliézer Falc'hun"

Manuscrit de Falc'hun

Extraits du Livre Falc'hun



Arborescence du bureau d'Yves Elleouet

Falc'hun, pareil au faucon, deuxième roman d'Yves Elléouet

Découvrez le deuxième livre d'Yves Elléouet au travers d'extraits, de manuscrits et de vidéos inédites...

A travers photos et vidéos, découvrez la vie et le personnage d'Yves Elléouet. Parcourez la galerie de peinture, ses poèmes, ses deux livres (Livre des Rois de Bretagne, de Falch'un), ses écrits ainsi que le DVD qui lui est consacré

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